Extraits des "Recuerdos marroquíes" de José María de Murga qui concernent Larache :
"(...) Un rencontre sanglant auprès du fleuve des Juifs (environs de Tanger) et dans lequel, bien que vainqueur, il en sortit vivant, grâce à sa valeur désespérée et téméraire, ne fit que l'affermir dans son idée de s'engager dans des entreprises de plus grande envergure et, à peine mis le pied dans ses États, il commença à s'occuper des préparatifs pour celles-ci.
Avec un esprit si disposé, il ne lui fut pas difficile de prêter l'oreille aux promesses du chérif détrôné ni à celui-ci de l'assurer qu'à peine débarqués, le pays se soulèverait en masse en son nom et qu'il recevrait, en échange de son aide, de très grands et avantageux territoires. L'un d'entre eux, et qui n'était pas peu de chose à cette époque, et même de nombreuses années plus tard, était le port d'El Araich (Larache) proche de l'embouchure du Détroit et véritable nid de pirates, où non seulement se réfugiaient les Africains mais aussi les Turcs, selon qu'ils étaient convenus avec l'usurpateur Abd-el Melec en lui apportant son aide.
(...)
Obligé se vit Don Sébastien à comprendre que ses forces ne suffisaient pas et, abattu et pensif, il recourut à son oncle le Roi d'Espagne, frère de sa mère Doña Juana, pour demander des secours et de l'aide. S'engagèrent les négociations par l'intermédiaire de l'ambassadeur Don Pedro de Alcántara, qui fut envoyé demander à Philippe II la main de sa fille Isabelle Claire Eugénie. Il le fit patienter quant au mariage et lui promit des soldats et des galères en nombre suffisant pour se rendre maître du port de Larache qui, selon l'expression du Roi d'Espagne, valait à lui seul toute l'Afrique.
(...)
Divisées étaient les opinions dans les Conseils, mais personne n'osait contredire ouvertement les plans du Roi qui, grisé par le succès de son attaque, ne pensait pas rencontrer une résistance très opiniâtre. L'idée de Don Sébastien était de pénétrer à l'intérieur des terres et de se jeter sur les ennemis partout où ils pourraient se présenter. Tous les capitaines portugais, qui ne parvenaient pas à avoir les leurs propres, acceptèrent celle que le Roi leur proposait et seul Don Luis de Silva eut assez de ténacité pour s'y opposer et faire observer que l'armée devrait s'embarquer et fondre sur Larache au lieu de s'enfoncer à la recherche d'un ennemi, dont on ne savait rien et qu'on pouvait rencontrer au moment où l'on s'y attendait le moins.
Parmi les capitaines étrangers, dont il y en avait de très bons et de très capables, prévalut dès le début cette idée; mais on ne tint jamais compte de leurs avis et on ne les écoutait que par curiosité et par politique. Ils ne se gênaient pas pour dire qu'ils marchaient vers une perte certaine et ils le dirent très clairement au Roi lui-même, qui sembla ne pas entendre ce qu'il écoutait.
Le Noir, qui finit par connaître parfaitement sa position et le peu de capacité et de discernement avec lesquels était menée cette entreprise, insista également pour qu'on commence par la prise de Larache et qu'une fois celle-ci accomplie, l'armée y reste et Don Sébastien retourne au Portugal.
Finirent par s'accorder les avis sur le fait que la prise de Larache devrait être le point de départ.
Larache, aujourd'hui d'une importance très réduite, était à cette époque un point très convoité en raison de ses particularités topographiques et de sa position géographique, presque au point de confluence de l'Atlantique et de la Méditerranée.
Son mouillage est peu sûr et est exposé aux fortes crues du fleuve Cus (le Lixus des Romains), dont la barre ne permet l'entrée qu'aux navires de très faible tirant d'eau et, cela, par temps très calme et avec des vents favorables. Mais, si ces inconvénients et d'autres le rendent de peu de valeur pour le trafic et les guerres d'aujourd'hui, il n'en allait pas de même aux époques passées où les navires étaient de faible tirant d'eau et où les rames des galériens suppléaient, et parfois avec avantage, aux hélices et aux roues de la marine d'aujourd'hui.
La ville, beaucoup plus étendue aujourd'hui qu'elle ne l'est maintenant, se trouve située au NE. sur une partie du plateau et du versant d'une colline à pente assez prononcée, sur la rive gauche du fleuve et s'étendant sur la barre même, dont les vagues viennent lécher le pied des murailles; au NO. la défend un réduit carré flanqué de tours, (Palais, qui fut celui du Sultan Sidi El-Yezid) et dont la force est accrue par une faussebraye adossée à une longue étendue de côte à pic; et au SO. s'étend le plateau sur lequel la place possède un triangle avec des bastions à orillons et un mur crénelé, tous deux d'origine portugaise, défendus par un fossé qui les précède sur toute leur étendue.
À en juger par le développement et les vestiges de murailles antérieures, la ville devait être circonscrite à ce qui forme aujourd'hui la citadelle et, à l'époque de Don Sébastien, elle n'aurait pas pu résister à une escalade, de même qu'aujourd'hui elle ne pourrait pas le faire un quart d'heure face à l'effet des projectiles.
Le fleuve, qui pouvait être navigué assez loin à l'intérieur des terres et dont les eaux coulent du S. au N. a une embouchure étroite, formée d'un côté par la ville et de l'autre par une grande étendue de dunes et de bancs de sable; il forme, lorsqu'il arrive à l'extrémité SE. de la ville et en direction de l'E., un grand méandre dont la partie convexe sert de mouillage aux petits et rares navires qui entretiennent le commerce languissant du pays: son cours, à partir de là jusqu'à sa source, est un zigzag continu et il vient lécher, sur sa rive droite, une série de petites collines et, sur la gauche, une grande étendue de terrains d'alluvions.
Dans ces zigzags dissimulés, grâce aux dunes, à la vue de la mer et hors de portée des trajectoires des projectiles utilisés à l'époque, se cachaient ces terribles corsaires, qui furent la terreur et l'épouvante de ces mers et d'autres, et qui, de là, tels des oiseaux de proie toujours à l'affût et prêts à se jeter avec ardeur sur leur proie, se lançaient, et presque toujours avec un succès assuré, dans leurs courses les plus audacieuses.
Comme un souvenir de gloires passées, il reste encore aujourd'hui, pourrissant dans le premier méandre de ce fleuve, les vestiges rongés des navires qui, au début de ce siècle, ont arboré le pavillon marocain.
La ville, et c'était un autre des avantages de sa prise, se trouve située presque sur la route qui, depuis Tanger, se dirige vers Fès qui, alors comme aujourd'hui, s'approvisionnait par ce port de nombreux produits commerciaux.
La base d'opérations, par conséquent, n'aurait pas pu être choisie avec un meilleur discernement ni plus de justesse.
Diverses étaient les opinions sur les moyens de s'en emparer et diverses les difficultés qui s'opposaient à la réalisation de chacun d'eux.
L'opinion la plus fondée, soutenue avec force par le chérif et par les capitaines les plus expérimentés, était que ce soit par la mer qu'on tente cette prise; mais quelques autres, peu avisés et connaissant le caractère du Roi, laissèrent entendre que, l'ennemi se trouvant très proche, s'embarquer serait considéré comme une retraite ou une fuite.
Oublia Don Sébastien les sages et prudents conseils du Duc d'Albe et, se penchant vers ses propres idées et celles de ses plus jeunes capitaines, il décida de pénétrer dans le pays et, traversant à gué le fleuve Cus à l'endroit le plus praticable, puisqu'ils n'emportaient aucun pont, d'attaquer par voie terrestre le village de Larache et de s'en rendre maître.
Il en aurait probablement été ainsi et non seulement Larache, mais aussi Fès, seraient tombés au pouvoir des Portugais qui, peut-être, auraient eu la fortune de leur côté si, en appareillant à Lisbonne, ils avaient mis le cap directement sur Arcila et s'étaient dirigés vers l'intérieur sans s'accorder un moment de repos. Il est possible que l'étonnement et la surprise leur aient servi d'auxiliaires et que ce soit au plus audacieux que la fortune ait prêté son aide.
Les atermoiements sont, à eux seuls, un obstacle fort et puissant à toutes les entreprises risquées.
Ils servirent dans ce cas à accroître le découragement de ces troupes, dont l'enthousiasme initial avait presque complètement diminué en voyant que pendant les cinq jours qu'ils mirent à parcourir les 7 à 8 lieues qui séparent Arcila des gués du Cus, ils ne trouvèrent, comme cela se produit aujourd'hui, qu'un terrain désertique, sans aucune ressource, et dont les Maures, qui les harcelaient continuellement, avaient retiré leurs troupeaux et caché ou incendié leurs récoltes. Ces manifestations, et le fait qu'aucun partisan ne se soit joint aux partisans du chérif, laissaient présager une forte opposition de la part des Maures au passage des gués; et celle-ci d'autant plus grande que l'armée du sultan devait venir à la rencontre de l'armée portugaise.
Cette nouvelle contrariété, qui ne se cachait plus à personne, faisait faiblir le moral des soldats qui commençaient à voir approcher la fin de leurs vivres, qu'ils comprenaient ne pas pouvoir remplacer.
Mohamed lui-même, voyant la faible probabilité du résultat et les difficultés de l'entreprise, insista auprès de Don Sébastien pour qu'il se décide à revenir sur ses pas et à attaquer Larache par la mer.
Mais si, lors du Conseil d'Arcila, Don Sébastien ne fut pas enclin à écouter ses raisons, il le fut encore moins à présent, alors que, d'un moment à l'autre, les avant-postes allaient être découverts."
Source: José María de Murga. Recuerdos marroquíes del Moro Vizcaíno José María de Murga, el Hach Mohamed el Bagdádi. Bilbao: Imprenta de Miguel de Larumbe, 1868, pp. 15-16, 26-30
Larache en 1578: Témoignage du "Moro Vizcaíno" José María de Murga
Dans ses "Recuerdos marroquíes" (1868), José María de Murga, surnommé le "Moro Vizcaíno", offre une description vivante de Larache en 1578, année marquante qui précède la bataille des Trois Rois (Alcácer Quibir). Son récit, basé sur des sources historiques et une connaissance approfondie du terrain, met en lumière l'importance stratégique de Larache et les enjeux politiques qui l'entourent.
Contexte :
Le récit de Murga se focalise sur les préparatifs de l'expédition du roi Sébastien Ier du Portugal au Maroc. Ce dernier, ambitieux et inexpérimenté, est convaincu de pouvoir reconquérir le trône pour le chérif détrôné, Abu Abdallah Mohammed II. Larache, repaire de corsaires et point névralgique sur la route de Fès, est une cible privilégiée pour le jeune roi.
Larache, un nid de pirates convoité :
Murga décrit Larache comme un "véritable nid de pirates", attirant non seulement les corsaires africains, mais aussi les Turcs alliés au sultan Abd al-Malik. La situation géographique de la ville, proche du détroit de Gibraltar et de la route maritime reliant l'Atlantique à la Méditerranée, en fait un lieu stratégique pour les activités corsaires.
Un port aux avantages et aux limites :
L'auteur souligne l'intérêt de Larache pour le trafic maritime et la guerre de l'époque. Si le mouillage est peu sûr et exposé aux crues du fleuve Loukkos (Cus), la barre peu profonde ne permet l'accès qu'aux navires de faible tirant d'eau. Cependant, cette particularité est un atout pour les galères et les navires de l'époque, dont les rames compensent l'absence de moteurs.
Une ville fortifiée :
Murga décrit minutieusement les fortifications de Larache, héritées des Portugais et renforcées par les Marocains :
Au nord-est : la ville est construite sur la pente d'une colline, le long de la rive gauche du fleuve.
Au nord-ouest : un "réduit carré flanqué de tours" (ancien palais du sultan) et une falaise abrupte protègent la ville.
Au sud-ouest : un plateau muni de bastions et d'un mur crénelé, hérités des Portugais, défend la ville.
Murga note que les murailles, plus étendues autrefois, ne pourraient résister à une attaque moderne.
Le fleuve Loukkos, refuge des corsaires :
L'auteur décrit le fleuve Loukkos comme un élément essentiel de la topographie de Larache. Navigable sur une certaine distance, il serpente à travers les collines et les plaines alluviales. Ces méandres, dissimulés par les dunes, offrent un refuge idéal aux corsaires, leur permettant de se cacher des regards et des canons ennemis. Murga évoque les épaves de navires corsaires qui témoignent du passé tumultueux de la ville.
L'importance stratégique de Larache :
Murga insiste sur la position stratégique de Larache sur la route reliant Tanger à Fès, capitale du Maroc. La ville contrôle l'approvisionnement de Fès et constitue une base idéale pour une incursion à l'intérieur du pays.
Les hésitations du roi Sébastien :
Malgré les conseils du chérif et des capitaines expérimentés qui préconisent une attaque par mer, le roi Sébastien, influencé par de jeunes officiers, opte pour une stratégie risquée. Il décide de pénétrer à l'intérieur des terres et de contourner Larache pour attaquer la ville par voie terrestre. Cette décision, motivée par l'orgueil et l'impatience, se révélera fatale pour le jeune roi et son armée.
Apport du récit de Murga :
Le récit de José María de Murga offre une vision détaillée de Larache en 1578, à la veille d'un événement historique majeur. Son témoignage met en lumière :
Le rôle de Larache comme repaire de corsaires et son importance stratégique pour le contrôle du Maroc.
La complexité des fortifications de la ville, héritées de différentes époques.
La relation étroite entre la ville et le fleuve Loukkos, source de ressources et refuge pour les pirates.
Les enjeux politiques et militaires qui entourent Larache et qui conduiront à la bataille des Trois Rois.
En conclusion :
La description de Larache par Murga est un témoignage précieux qui enrichit notre compréhension de la ville à la fin du XVIème siècle. Son récit, à la fois précis et anecdotique, permet de visualiser la ville, ses habitants et les forces en présence qui façonneront son destin
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