Texte de Tomás García Figueras et Carlos Rodríguez Jouliá Saint-Cyr concernant la description de Larache en 1610 :
"Quand les Espagnols pénétrèrent à Larache en 1610, la place ne comptait qu'une centaine de petites constructions, des huttes pour la plupart, sans autre protection que les deux forts : celui qui donnait sur la mer, qui était le plus ancien, et celui construit en 1578 par Al-Mansour face à la campagne extérieure. Les deux forteresses, comme nous l'avons déjà dit en temps opportun, furent baptisées par leurs nouveaux occupants des noms de "San Antonio" et "Nuestra Señora de Europa" respectivement. Tous les efforts espagnols s'orientèrent dès le premier instant à procurer à leur récente conquête les meilleures conditions de sécurité possibles. La rendre plus ou moins habitable fut une affaire qu'on laissa pour plus tard.
Les premiers ouvrages de défense furent de simples tranchées construites avec des planches et de la terre. Il était urgent de relier les deux châteaux, jusqu'alors isolés l'un de l'autre, afin d'offrir à l'ennemi éventuel une ligne défensive continue. Petit à petit, à mesure que les matériaux et les circonstances le permettaient, les tranchées rudimentaires des premiers jours se transformèrent en remparts devant lesquels on construisit un large fossé. On fixa ainsi le périmètre de ce qui allait être la ville. Approximativement, celle-ci avait la forme d'un triangle dont un des sommets, celui que marquait le château de San Antonio, atteignait la mer par l'ouest. Le deuxième sommet, situé au sud-est, correspondait au fort de Nuestra Señora de Europa et le troisième faisait face au quai du Loukkos par le nord-est.
Le rempart de la place se fit lentement. Les matériaux ne surabondaient pas. On utilisa toute la pierre possible mais une grande partie des murs ne furent élevés qu'à base de terre recouverte de chaux. Au début, ce dernier produit, indispensable pour construire le nouveau Larache, était apporté d'Espagne avec les difficultés et les retards que connut à chaque instant l'approvisionnement de la place. En 1611, pour remédier en partie à cet inconvénient, on construisit douze fours à chaux.
Le long de toute la ligne des remparts, on disposa stratégiquement les batteries destinées à la défense de Larache. On plaça également des pièces d'artillerie dans les deux forts principaux et dans celui appelé de Santiago ou du Broquelete, situé à côté de celui de San Antonio. Quand les Espagnols entrèrent dans la place, ils trouvèrent quatre-vingt-dix canons d'origine portugaise pour la plupart. On augmenta ce nombre avec ceux qu'apportaient les nouveaux occupants et qui appartenaient aux différents types qu'on utilisait alors : canons de siège, demi-canons, pierriers, couleuvrines, etc., les uns en bronze et les autres en fer coulé. Malgré le nombre raisonnable de pièces que la place parvint à posséder, celle-ci ne se distingua pas par sa puissance d'artillerie au cours des quatre-vingts ans de présence espagnole. Les maigres matériaux qui arrivaient de la Péninsule rendaient très difficile leur réparation, de sorte que la plupart des canons se trouvaient pratiquement "décabalés". En 1631, Larache comptait quatre-vingt-six pièces, dont vingt-sept n'avaient pas d'affût; en 1655, il y en avait soixante-dix-huit, mais seize étaient hors d'usage. Certains commentateurs, en parlant de la perte de Larache, affirment que les Marocains trouvèrent dans la place cent quatre-vingts canons. La réalité fut bien différente puisque le nombre de pièces qui passèrent au pouvoir de Moulay Ismaïl en 1689 fut de cent treize et qu'elles ne se distinguaient pas précisément par leur bon état.
L'accès à Larache se faisait par trois portes situées sur chacun des trois côtés du triangle. L'entrée principale correspondait à celle qu'on appelait la Puerta del Campo, celle qui donnait passage au Corps de Garde et qui se trouvait située au centre du pan de rempart qui reliait le château de San Antonio à celui de Nuestra Señora. Le deuxième accès était celui qui correspondait à la Puerta del Muelle, ouverte presque au bout du mur qui s'étendait du sud-est au nord-est, formant plusieurs bastions qui reçurent les noms de Nuestra Señora, San Felipe, San Juan et de la Morena. Enfin, le troisième accès se faisait par le point médian de la ligne défensive qui, face au fleuve Loukkos, allait du quai au château de San Antonio. Ce pan de rempart fut le dernier à être construit puisque l'ouvrage ne fut achevé qu'en 1618. Cette troisième entrée reçut le nom de Puerta de la Marina. A sa droite, on construisit un fort bastion qui reçut plus tard le nom de Diego de Vera, en l'honneur d'un des capitaines de Larache qui contribua avec le plus de zèle à l'organisation de la nouvelle place espagnole.
Par l'extérieur et plus haut que le quai, il existait une vaste zone de salines et plus au nord une série de jardins potagers riverains cultivés et exploités par les indigènes. En descendant du nord-est au sud-est, on rencontrait de petites hauteurs dénommées les Peñuelas, lieu d'où partirent beaucoup des agressions que subit Larache. Plus à droite, et déjà plus loin de la place, s'étendait la zone boisée où la garnison avait l'habitude de s'approvisionner en bois et qu'on appelait Monte de la Fagina. Déjà dans la zone ouest, et dans la partie du littoral face à l'Atlantique, se distinguaient deux points principaux : le château des Génois, totalement isolé de la place, et la source extérieure, source proche du château de San Antonio et principal fournisseur des besoins de la place avec le risque que comportait toute sortie à la recherche d'eau et de fourrage.
L'intérieur de Larache comptait une enceinte principale, la plus ancienne, formant une espèce de citadelle adossée par un de ses côtés au pan de rempart de San Francisco et par l'autre au côté droit du fort de Nuestra Señora de Europa et entourée à l'intérieur par un petit mur. Cette enceinte correspondait à ce qu'on allait appeler le quartier de l'Alcazaba. À l'intérieur de celle-ci et à côté du château, se trouvait la tour du Juif, chargée de légendes. Plus au nord, le couvent de San Francisco, ancienne mosquée, qui était également adossé au rempart. Aux environs de Nuestra Señora de Europa se dressait la maison du gouverneur avec son jardin correspondant. Proche de celle-ci, la résidence et le bureau du Veedor et autres services administratifs de la place. À l'intérieur également de l'enceinte de l'Alcazaba, on construisit les entrepôts, l'hôpital, les écuries et les premières casernes pour la troupe. Jusqu'à ce qu'on pût réaliser cette dernière construction, les soldats furent logés dans les deux châteaux de San Antonio et de Nuestra Señora avec l'entassement obligatoire. Le manque de place exigeait que deux soldats dorment sur une planche d'une verge de large, sur laquelle on étendait un mince matelas. Cette promiscuité forcée et désagréable faisait que pendant la saison chaude, les maladies se propagent facilement.
Hors de l'enceinte de l'Alcazaba, mais proche de celle-ci, se trouvait la maison du sergent-major. En direction de l'ouest, et proche du bastion de Diego de Vera, se dressait une chapelle connue sous le nom de Nuestra Señora de la Cabeza, tout comme le château. Plus près déjà du fort de San Antonio se trouvaient la poudrière et la source nouvelle. Toute cette zone s'accrut avec la construction d'un moulin à farine, de plus vastes casernes et des nouveaux entrepôts nécessaires pour les vivres et les munitions. Petit à petit, à l'intérieur de la place, on construisit quelques petits établissements, les "estancos", où l'on vendait les produits les plus divers, et on construisit également les habitations de la population civile de la place, en nombre approximatif d'une vingtaine de bâtiments..."
Source: Tomás García Figueras et Carlos Rodríguez Jouliá Saint-Cyr. Larache: datos para su historia en el S. XVII. Madrid: Instituto de Estudios Africanos, 1973, pp. 341-344.
Description de Larache en 1610 : Une ville en reconstruction (García Figueras & Rodríguez Jouliá Saint-Cyr)
L'ouvrage "Larache: datos para su historia en el S. XVII" de Tomás García Figueras et Carlos Rodríguez Jouliá Saint-Cyr (1973) offre une description précise de Larache en 1610, année de son occupation par les troupes espagnoles. Le texte met en lumière l'état de la ville après son abandon par les Marocains et les premiers efforts de fortification et d'urbanisation entrepris par les nouveaux occupants.
Une ville dépeuplée et fortifiée :
Lors de l'arrivée des Espagnols, Larache est une ville presque vide, ne comptant qu'une centaine de constructions rudimentaires. Les deux principaux points forts sont les deux forts existants : le fort San Antonio, face à la mer et le plus ancien, et le fort Nuestra Señora de Europa, construit en 1578 par le sultan Ahmed al-Mansur face à l'arrière-pays.
La priorité des Espagnols est d'assurer la sécurité de la ville. Ils débutent par la construction de tranchées en terre et en bois pour relier les deux forts et créer une ligne de défense continue. Ces fortifications sommaires sont progressivement remplacées par des murs en pierre et en pisé (terre crue) renforcés par un large fossé, définissant ainsi le périmètre de la future ville.
Des moyens de défense modestes :
L'artillerie de Larache est composée de canons portugais trouvés sur place et de pièces apportées par les Espagnols. Malgré un nombre raisonnable de canons de différents types (canons de siège, couleuvrines, pierriers...), la puissance de feu de la ville reste limitée par le manque de matériel et l'état dégradé des canons, souvent "décabalés", c'est-à-dire sans affût.
Trois portes et un accès contrôlé :
L'accès à Larache se fait par trois portes situées sur chaque côté du triangle formé par les fortifications :
Puerta del Campo : porte principale donnant accès au corps de garde, située sur le mur reliant les forts San Antonio et Nuestra Señora de Europa.
Puerta del Muelle : ouverte près de l'extrémité du mur sud-est, protégée par plusieurs bastions.
Puerta de la Marina : située au milieu du mur nord, face au fleuve Loukkos, et complétée par un bastion baptisé Diego de Vera, en l'honneur d'un capitaine espagnol ayant contribué à l'organisation de la ville.
Un intérieur en cours d'aménagement :
L'intérieur de Larache s'organise autour d'un quartier principal, l'Alcazaba, qui correspond à la zone la plus ancienne de la ville. On y trouve :
La "tour du Juif", un édifice chargé de légendes.
Le couvent de San Francisco, ancienne mosquée transformée.
La maison du gouverneur et son jardin.
Les bureaux de l'administration.
Des entrepôts, un hôpital, des écuries et des casernes.
Le manque d'espace oblige les soldats à vivre dans des conditions difficiles, notamment dans les forts.
Hors de l'Alcazaba, on trouve quelques bâtiments importants :
La maison du sergent-major.
L'ermitage Nuestra Señora de la Cabeza.
Un moulin à farine.
De nouveaux entrepôts et casernes.
Une vingtaine de maisons pour la population civile.
L'approvisionnement en eau :
L'approvisionnement en eau est un défi pour la ville, qui dépend de sources situées à l'extérieur des murs :
La "source extérieure", proche du fort San Antonio, accessible avec risques.
Une source située à une lieue de distance.
Un environnement rural exploité :
Les alentours de Larache sont exploités par les habitants :
Des salines au nord du port.
Des jardins maraîchers sur les rives du fleuve.
Le "Monte de la Fagina", zone boisée fournissant du bois de chauffe.
Apport de la description de García Figueras et Rodríguez Jouliá Saint-Cyr :
La description de Larache en 1610 offre un instantané précieux de la ville à un moment crucial de son histoire. Elle met en évidence :
L'état de délabrement de la ville après son abandon par les Marocains.
Les efforts de fortification entrepris par les Espagnols pour sécuriser leur nouvelle possession.
L'organisation spatiale de la ville en cours de reconstruction, avec ses quartiers, ses portes et ses bâtiments clés.
Les défis logistiques auxquels sont confrontés les nouveaux occupants, notamment en matière d'approvisionnement en eau.
En conclusion :
Le texte de García Figueras et Rodríguez Jouliá Saint-Cyr permet de visualiser Larache en 1610, non pas comme une ville prospère, mais comme un chantier en pleine transformation. Cette description minutieuse est une source d'information essentielle pour comprendre les premières années de la présence espagnole à Larache et les défis auxquels ils ont été confrontés pour transformer la ville en une place forte viable.
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