mercredi 15 mai 2024

Description de Larache en 1911 : le regard d'Eduardo Quintana Martínez






Extraits de "La Marina de guerra española en África" d'Eduardo Quintana Martínez qui concernent Larache:

"Larache est une ville qui fut autrefois excellemment fortifiée, de telle manière qu'elle a dû être imprenable. Elle est entourée d'une muraille en maçonnerie, où se trouvent plusieurs batteries et forts, les principaux étant le château des Cigognes, ou des Portugais, du côté de la terre, et celui mentionné de la Barre, flanqué de plusieurs batteries situées presque au niveau de la mer.

Autant dans le château, situé à l'extrémité sud de la ville et fondé sur la falaise de la côte, que dans les batteries, il y a un bon nombre de canons en fer et en bronze, dont certains datent de l'année 1613, sous le règne de Philippe III, un mortier de Charles IV et un autre avec une inscription maure, datant de l'année 1184.

Dans ce château logeait la 1ère compagnie d'Infanterie de Marine, jusqu'à ce qu'elle parte pour Alcazarquivir dans les premiers jours de juillet; forteresse que nous avons visitée, admirant sa construction solide et son emplacement stratégique.

L'état de conservation des murailles et du château n'est pas mauvais du tout, si l'on tient compte de leur ancienneté. La muraille est d'une hauteur considérable: son parapet en maçonnerie a un mètre d'épaisseur et dispose d'un chemin de ronde, bien que de nombreuses constructions urbaines aient été édifiées dessus. Aujourd'hui, comme on peut le comprendre, ces murailles ne servent absolument à rien. Le château des Cigognes ou El Heri, qui est de forme triangulaire, nous ne l'avons vu que de l'extérieur, faute de temps pour le visiter. Dans celui de la Barre, ses entrepôts ou magasins contenaient une grande quantité de munitions, des boulets sphériques, des boîtes de mitraille et de la poudre en vrac dans la poudrière.

Pour y loger l'Infanterie de Marine, les soldats durent effectuer d'énormes travaux d'assainissement, car dans tous les locaux, il y avait d'immenses tas de fumier, et dans d'autres, une quantité énorme d'orge, sans que l'on sache qui pouvait en être le propriétaire.

Les rues de Larache sont étroites, comme celles de toutes les villes marocaines, et en pente raide, rappelant des villages d'Espagne, comme Medina Sidonia, Alcalá de los Gazules, Vejer et même certains du nord-ouest de la péninsule, comme Puentedeume. Son souk intérieur est une belle place de forme rectangulaire, sur les côtés les plus longs de laquelle les bâtiments forment des arcades attrayantes.

Il y a plusieurs maisons d'Européens, parmi lesquelles se distingue le palais des Ducs de Guise, qui se trouvaient dans cette ville lorsque nous y étions, palais qui se dresse sur les hauteurs de Nadar, à peu de distance des portes de Larache, et où se trouve également le consulat de Belgique. Aux abords de la ville, il y a de nombreux vergers et du gibier en abondance, la plaine étant peut-être l'une des plus riches du territoire marocain, surpassant celle de Tétouan. Les arbres fruitiers abondent, et à environ six kilomètres de distance, il existe une vaste et belle forêt, riche en gibier.

Le fleuve Lucus, qui se jette à Larache, est assez abondant et, lorsque les travaux du port, réalisés par la Compagnie allemande, seront terminés, il offrira aux navires un mouillage sûr qu'ils ne trouvent pas aujourd'hui.

(...)

Nous avons visité à Larache la résidence des missionnaires de l'Ordre de Saint-François, qui, comme on le sait, travaille sans relâche en Afrique. C'est une église de style gothique qui, bien que de dimensions réduites, a l'apparence d'une petite cathédrale. À l'intérieur, elle a trois nefs, séparées par de fines colonnes.

(...)

Larache et Alcazarquivir s'amélioraient remarquablement et progressivement, et les effets de notre action politico-militaire et civilisatrice se traduisaient par des bénéfices tangibles en faveur de l'hygiène et de l'embellissement de ces villes.

Notamment dans la première, des travaux d'assainissement et d'élargissement très opportuns furent réalisés et accueillis avec applaudissements et joie par la population. L'ancienne muraille qui donnait sur la mer et qui, depuis le quai, aboutissait au château de la Barre, transformant en une ruelle étroite et étouffante la rue du Consulat, où se trouvait celui d'Espagne et d'autres, fut démolie jusqu'à la maison qu'occupait le capitaine Ovilo, soit sur une longueur de plus de 250 mètres, laissant ainsi ce front de la ville qui donne sur le Loukkos complètement dégagé et aéré, lui donnant un aspect plus beau. Le château de la Barre fut transformé par les ingénieurs militaires en un excellent hôpital, plusieurs salles étant construites dans sa partie haute.

Sur le souk extérieur, situé à la sortie de la ville par la porte de terre, les huttes et abris maures immondes qui s'y trouvaient furent détruits, et la construction d'une large rue fut lancée, la première de l'extension de la ville qui doit nécessairement se faire de ce côté, d'où part également la route d'Alcazarquivir, commencée à être construite par nos soldats d'Infanterie de Marine. À cet endroit, appelé Guani, deux baraquements furent construits, formant un groupe avec une rue centrale et de beaux jardins latéraux, fermé à l'avant par une grille artistique, au centre de laquelle se trouvait le petit temple érigé à la mémoire d'un Allemand assassiné avant notre débarquement, temple ou mausolée que les ingénieurs militaires ont soigneusement restauré, la colonie allemande ne cachant pas sa gratitude pour l'attention portée aux restes mortels de leur compatriote et la noblesse et le respect avec lesquels les officiers et les soldats prennent soin de cet endroit.

Le groupe de baraquements auquel nous nous référons se dresse en face du château des Cigognes ou des Portugais. Formant une rue avec ceux-ci, il y a de beaux bâtiments, dont certains ont été construits depuis notre débarquement. L'éclairage public à l'acétylène fut installé et inauguré en juin 1912, mettant fin à l'habitude, qui n'était pas sans charme, que chaque habitant se promène la nuit muni d'une lanterne.

La population européenne augmenta extraordinairement; augmentation qui fut alimentée notamment par les chefs et officiers de nos troupes et les familles de ceux-ci, le problème de trouver un logement se présentant avec un caractère alarmant. Les propriétaires dont les baux expiraient les renouvelaient, profitant des circonstances critiques, avec une augmentation considérable des loyers. C'est pourquoi l'une des affaires qui s'offrent à Larache est d'investir des capitaux dans la construction urbaine, bien que, en raison du manque de matériaux de construction dans cette zone de notre influence, il soit nécessaire de les importer de l'étranger, ce qui entraîne des dépenses plus importantes."

Source : Eduardo Quintana Martínez. La Marina de guerra española en África: crónica, ocupación de Larache y Alcazarkivir, la campaña del Kert. Cádiz: Imprenta de Manuel Álvarez Rodríguez, 1912, pp. 120-121, 126 & 267-268.

Malheureusement, les informations biographiques sur Eduardo Quintana Martínez sont rares et difficiles à trouver.

Voici ce que l'on sait de lui :

Officier de la Marine espagnole: Il était officier de la Marine espagnole au début du XXe siècle. Son ouvrage "La Marina de guerra española en África" témoigne de sa participation à l'occupation de Larache en 1911 et à la campagne du Kert.

Chroniqueur militaire: Quintana Martínez était un chroniqueur attentif aux événements militaires de son époque. Il a rédigé des récits détaillés des opérations militaires auxquelles il a participé, s'attachant à décrire les lieux, les hommes et les enjeux stratégiques.

Auteur d'autres ouvrages sur la Marine espagnole: Outre "La Marina de guerra española en África", il est l'auteur d'un autre ouvrage sur le même sujet : "La marina de guerra Española en África : crónica de la campaña del Rif" (Cadix : Imprenta de Manuel Álvarez Rodríguez, 1910).

Malgré le peu d'informations disponibles sur sa vie personnelle, ses écrits nous révèlent un homme observateur, soucieux de précision et doté d'une plume alerte. Ses témoignages sont précieux pour l'histoire militaire de l'Espagne et pour la compréhension des événements qui ont marqué le Maroc au début du XXe siècle.


Description de Larache en 1911 : le regard d'Eduardo Quintana Martínez

En 1911, l'Espagne occupe militairement Larache, marquant un tournant dans l'histoire de la ville. Eduardo Quintana Martínez, témoin direct de ces événements, livre dans son ouvrage "La Marina de guerra española en África" une description précise de Larache à ce moment précis. Son récit, nourri de ses observations directes et complété par des informations recueillies auprès de ses compagnons restés sur place, dresse un tableau détaillé de la ville, de ses fortifications et des changements induits par la présence espagnole.

Des fortifications imposantes, vestiges d'un passé glorieux:

Quintana Martínez décrit Larache comme une ville autrefois "excellemment fortifiée", presque imprenable. Il détaille les éléments clés de son système défensif :

Une muraille d'enceinte: En maçonnerie, elle est ponctuée de batteries et de forts.

Le château des Cigognes (ou des Portugais): Situé à l'extrémité sud de la ville, il est bâti sur une falaise et domine la mer.

Le fort de la Barre: Dominant l'embouchure du fleuve Loukkos, il est flanqué de batteries positionnées au niveau de la mer.

L'auteur souligne la présence de nombreux canons en fer et en bronze, datant pour certains du règne de Philippe III (XVIIème siècle). Il mentionne également deux mortiers, l'un datant de Charles IV et l'autre portant une inscription en arabe et datant de 1184, témoignages des différentes époques qui ont marqué la ville.

Un état de conservation contrasté:

Quintana Martínez observe que l'état de conservation des murailles et des châteaux est "pas mauvais du tout", compte tenu de leur ancienneté. La muraille est encore imposante, avec son parapet épais et son chemin de ronde, bien que des constructions urbaines aient empiété sur ce dernier. L'auteur regrette toutefois que ces fortifications soient désormais obsolètes et ne puissent plus protéger la ville.

Une ville pittoresque aux rues escarpées:

Quintana Martínez décrit les rues de Larache comme étroites et pentues, caractéristiques des villes marocaines. Il les compare à certaines villes d'Espagne, comme Medina Sidonia ou Vejer. Il évoque le "souk intérieur", une place rectangulaire bordée d'arcades, soulignant son charme et son animation.

L'empreinte européenne et les transformations en cours:

La présence européenne est visible à Larache. L'auteur mentionne plusieurs maisons appartenant à des Européens, dont le palais des Ducs de Guise, situé sur les hauteurs de Nadar. Il évoque également les travaux d'aménagement du port, entrepris par une compagnie allemande, qui permettront d'accueillir des navires de plus grand tonnage.

L'action espagnole : modernisation et assainissement

Quintana Martínez décrit les transformations initiées par l'occupation espagnole :

Démolition de la muraille côté mer: Cette opération vise à aérer et à embellir la ville en ouvrant la vue sur le fleuve Loukkos.

Transformation du fort de la Barre en hôpital : Ce projet ambitieux témoigne de la volonté espagnole d'améliorer les conditions sanitaires.

Aménagement du "souk extérieur" : Des baraquements ont été construits pour les troupes et une nouvelle rue est en cours d'aménagement, marquant le début de l'expansion de la ville.

Installation de l'éclairage public: L'arrivée de l'éclairage à l'acétylène marque une rupture avec les habitudes traditionnelles.

Ces transformations témoignent de la volonté espagnole de moderniser Larache et d'améliorer les conditions de vie de ses habitants.

Une ville en plein essor économique:

Quintana Martínez souligne l'importance du trafic commercial de Larache, qui attire de nombreuses caravanes en provenance de Fès et d'autres villes de l'intérieur du pays. Il mentionne les marchandises qui transitent par le port : céréales, peaux, tapis et tissus marocains, destinés à l'exportation vers l'Europe.

Conclusion :

La description de Larache en 1911 par Eduardo Quintana Martínez offre un témoignage précieux sur la ville à un moment crucial de son histoire. Son récit met en lumière :

L'héritage architectural et militaire de la ville, marqué par les fortifications imposantes.

Le dynamisme économique de Larache, carrefour commercial entre l'Europe et le Maroc.

Les changements induits par l'occupation espagnole, qui engage des travaux de modernisation et d'assainissement.

Le récit de Quintana Martínez, à la fois descriptif et analytique, nous permet de comprendre les enjeux et les transformations de Larache au début du XXème siècle, à l'aube du protectorat espagnol.

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