lundi 13 mai 2024

Récit de l'attaque française de 1765 : le témoignage de Bidé de Maurville




texte de Bidé de Maurville concernant l'attaque de Larache en 1765, extrait de sa Relation de l'expédition de Larache:


 "RELATION DE L'EXPÉDITION DES CHALOUPES QUI FURENT DÉTACHÉES LE 27 JUIN 1765 PAR M. DUCHAFFAULT, CHEF D'ESCADRE QUI COMMANDAIT CELLE DU ROI DESTINÉE À CROISER DEVANT LES CÔTES DES ÉTATS DU ROI DE MAROC, POUR ALLER INCENDIER LES CORSAIRES QUI ÉTAIENT DANS LE PORT DE LARACHE, COMMANDÉES PAR M. DE LA TOUCHE BEAUREGARD, CAPITAINE DE VAISSEAU ET COMMANDANT DU VAISSEAU AMIRAL.

Dans la nuit du 26 au 27 Juin, après avoir bombardé & canonné pendant tout le jour la ville & les forts de Larache, M. Duchaffault détacha huit chaloupes pour aller incendier un bâtiment qui se trouvait à l'entrée de la rivière qui forme le port de cette ville & qui passe le long des murailles de la place. Notre expédition fut si heureuse qu'après être entrés dans le port & avoir incendié ledit bâtiment, que nous abordâmes sans résistance, nous rejoignîmes nos vaisseaux, sans autre perte que celle d'un homme de notre canot, légèrement blessé.

Peu de tems après nous eûmes à regretter l'inutilité de notre expédition, par l'activité avec laquelle les Maures arrêtèrent les progrès du feu, qu'ils éteignirent totalement. Il est vrai que si la marée ne nous eut point mis obstacle contre la bonne volonté de tous nos gens, nous eussions fait une nouvelle tentative sans perdre de tems ; mais le manque de fond, qui nous avoit empêché de franchir la barre de ce port la nuit précédente, nous offroit alors les mêmes difficultés, ce qui obligea le Général à remettre au lendemain l'entreprise d'une nouvelle expédition. Tous les Officiers coïncidoient avec la résolution de M. Duchaffault, qui étoit de faire l'action en plein jour. Cette entreprise étant la seule faisable, & s'agissant de joindre à celle de la veille l'incendie du Corsaire le plus considérable du port, il eût été imprudent de tenter l'abordage pendant la nuit, parce que ce bâtiment se trouvoit fort avant dans l'intérieur de la rivière qui nous étoit inconnue, & qui formoit plusieurs sinuosités avant d'arriver au point où étoit amarré le bâtiment en question. D'ailleurs, le peu de résistance que nous avions trouvé en faisant notre première expédition sembloit répondre du succès d'une seconde.

Cependant, le Général ne voulut rien décider avant d'avoir conféré avec les Mrs. Commandans qui commandoient les autres vaisseaux de son Escadre. Le 27 au matin il leur fit le signal de se rendre à bord du vaisseau amiral, ainsi que le signal de Conseil. Bientôt il eut la satisfaction de voir que sa disposition ne rencontroit aucune inspiration contraire, que dans chaque vaisseau on avoit formé le même projet, & que tout le monde avoit la même confiance que nous dans le succès. Sans retenir plus longtems les Mrs. Commandans, il leur ordonna de se retirer incessamment sur les vaisseaux qu'ils commandoient, pour armer leurs chaloupes & canots, & les avoir prêts à se joindre à celles du Général au premier signal qu'il leur feroit. Il ordonna aussi aux Commandans des chebecs de s'apprêter & d'aller mouiller le plus près qu'il leur seroit possible de l'entrée du port. Nous nous mîmes, de notre côté, en devoir de nous rapprocher de Larache, & aussitôt que nous fûmes à demi-portée de canon nous commençâmes à tirer. Les frégates, galiotes à bombes & chebecs, qui en avoient reçu l'ordre, firent de même. Nous continuâmes le feu jusqu'à midi, heure à laquelle nous cessâmes pour dîner & donner quelque repos à nos gens, afin de le recommencer avec plus de forces.

À deux heures après-midi nous recommençâmes à bombarder Larache, & nous le continuâmes presque jusqu'à la fin de l'expédition. À quatre heures, le Général ayant ordonné de faire le signal aux chaloupes & canots de venir à son bord, elles y vinrent sur-le-champ. M. de Beauregard, Capitaine de Vaisseau & Commandant du vaisseau chef, chargé de cette expédition, désigna, avant de partir, les chaloupes qui devoient incendier les différens bâtimens qui étoient dans le port, & forma autant de divisions qui étoient destinées à les soutenir.

Quand tout fut disposé de cette manière, nous partîmes suivant l'ordre convenu. Nous fûmes peu de tems à arriver à la barre, que nous franchîmes en bon ordre, sans nous appercevoir du gros bouillonnement qui y règne ordinairement, de même que nous n'éprouvâmes aucune difficulté en passant le château & les forts qui bordent l'entrée du port, & sous lesquels il nous fallut défiler à demi-portée de pistolet. À mesure que nos chaloupes, à la tête desquelles nous voguions, passoient de l'autre côté d'un petit fort qui forme l'ouverture du port, elles commencèrent successivement à faire feu sur des troupes de Maures cachées derrière les rochers qui bordent l'entrée & l'intérieur de la rivière, sans cesser d'avancer vers le premier bâtiment, dont nous étions déjà fort près. Aussitôt que nous l'eûmes joint, nous l'abordâmes avec la chaloupe de La Terpsichore, & nous montâmes à son bord sans qu'on nous opposât aucune résistance…

(…) Les Maures s’emparèrent de notre chaloupe & exterminèrent presque tous les blessés qu’ils y trouvèrent, & il n’échappa à ce carnage que ceux qui, occupant le fond du batteau, se firent passer pour morts à ces forcenés, dans les premiers momens de leur fureur.

Ainsi finit une expédition qui nous avoit inspiré de si beaux présages, & que je crois qui n'auroit point eu un succès si contraire si nous eussions trouvé un courant ordinaire; mais la colonne d'eau qui entroit par un passage si étroit, pour grossir une rivière très large dans l'intérieur, offroit une résistance excessive à nos efforts, continuellement affoiblis par le feu de l'ennemi : ce fut, à mon avis, la seule cause de notre perte."

Source: Bidé de Maurville. Relation de l'expédition de Larache. Amsterdam, 1765. Réédition: Relation de l'expédition de Larache: 1765. Traduction de l'édition française. Tanger: Publications de l'Institut Général Franco, 1940, pp. 11-12 & 16. Publication dirigée par la Duchesse de Guise.




Récit de l'attaque française de 1765 : le témoignage de Bidé de Maurville

François-Joseph-Hippolyte Bidé de Maurville, officier de la marine française, nous livre un récit captivant et détaillé de l'attaque française contre Larache en 1765 dans son ouvrage "Relation de l'expédition de Larache". Témoin direct des événements, il décrit avec précision les préparatifs, le déroulement et l'issue tragique de cette tentative avortée de neutraliser les corsaires marocains.

Contexte:

En 1765, la France, exaspérée par les attaques répétées des corsaires marocains contre ses navires marchands, décide de lancer une expédition punitive contre Larache, base importante de la flotte corsaire. La mission est confiée à l'escadre du chef d'escadre Du Chaffault de Besné.

Première expédition nocturne : un succès éphémère

Dans la nuit du 26 au 27 juin 1765, après un bombardement intense de la ville et de ses forts, Du Chaffault envoie huit chaloupes, commandées par le capitaine de vaisseau La Touche de Beauregard, pour incendier un navire corsaire mouillé à l'entrée du port.

Bidé de Maurville, embarqué à bord de L'Utile, participe à cette première expédition. Il raconte avec fierté leur succès : ils parviennent à incendier le navire visé sans rencontrer de résistance. Cependant, la joie est de courte durée. Les Marocains, grâce à leur réactivité, parviennent à maîtriser l'incendie.

Préparation d'une seconde attaque : l'audace en plein jour

La première attaque, bien qu'inaboutie, conforte Du Chaffault dans sa décision de mener une nouvelle tentative, cette fois en plein jour. L'objectif est d'incendier le plus grand navire corsaire du port, ancré plus en amont dans le fleuve. Cette stratégie audacieuse, approuvée par le conseil des commandants de l'escadre, vise à maximiser les chances de réussite.

Le 27 juin 1765 : une journée de combats

Dès le matin du 27 juin, l'escadre française bombarde Larache sans relâche. À 16 heures, les chaloupes et canots, armés et prêts au combat, rejoignent le navire amiral. Le capitaine de vaisseau Beauregard répartit les embarcations en divisions, chargées d'incendier les différents navires corsaires et de se soutenir mutuellement.

Progression vers le cœur du port : franchir les obstacles

La flottille française se met en marche vers l'embouchure du fleuve. Bidé de Maurville décrit avec précision leur progression : ils franchissent la barre sans encombre, passent sous le feu des canons du château et des forts qui bordent l'entrée du port, et ouvrent le feu sur les troupes marocaines dissimulées derrière les rochers.

L'abordage du navire corsaire : le piège se referme

Les chaloupes françaises atteignent le premier navire corsaire et l'abordent sans résistance. Mais alors que les marins français s'apprêtent à mettre le feu, la situation se retourne brutalement. Les Marocains, embusqués sur la rive, ouvrent un feu nourri sur les chaloupes.

Le massacre : un dénouement tragique

Pris au piège, les Français subissent de lourdes pertes. Bidé de Maurville décrit avec émotion le chaos et la violence des combats. Blessé, il est fait prisonnier avec plusieurs de ses camarades. Les Marocains massacrent les blessés restés à bord de la chaloupe française capturée.

Analyse de la défaite : la force du courant et la résistance marocaine

Bidé de Maurville attribue la défaite française à la puissance du courant du fleuve, qui a empêché les chaloupes de manœuvrer efficacement, et à la farouche résistance des Marocains. Sur les 16 chaloupes engagées, seules neuf parviennent à s'échapper et à rejoindre l'escadre.

Conséquences:

L'attaque française contre Larache est un échec cuisant. Bidé de Maurville passera deux ans en captivité avant d'être libéré. Cette expédition met en lumière la difficulté de lutter contre les corsaires marocains, bien implantés sur leur territoire et bénéficiant d'une défense acharnée.

Valeur du récit:

Le témoignage de Bidé de Maurville est un document historique précieux qui permet de comprendre le déroulement et les enjeux de cette bataille navale méconnue. Son récit, précis et poignant, nous plonge au cœur de l'action et nous fait vivre les combats à travers les yeux d'un participant direct. Il met en lumière la violence des affrontements, le courage des marins français et la détermination des Marocains à défendre leur territoire.

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