mardi 14 mai 2024

Description de Larache par Ali Bey (Viajes por Marruecos, 1803-1805)

  texte d'Ali Bey concernant Larache, extrait de ses Viajes por Marruecos:

17 AOÛT 1805

"En ce jour le voile de la conduite mystérieuse de mes officiers fut déchiré; ils m'annoncèrent que nous allions à Laraïsch ou Larache, au lieu de Tanger, comme ils me l'avaient dit. Cela me déplut infiniment, mais après avoir réfléchi, je me laissai conduire, m'étant indifférent d'aller à l'un ou à l'autre endroit.

Nous nous mîmes donc en marche à six heures du matin vers l'O. Une heure après nous tournâmes au N. et N. O. Nous nous enfonçâmes dans un bois de chênes verts fort élevés, garni de fougères, et nous n'en sortîmes qu'à midi, après avoir fait beaucoup de détours. Enfin après avoir traversé un ruisseau, nous entrâmes dans Larache à une heure après midi.

Laraïsch, que les Chrétiens nomment Larache, est une petite ville, qui aura environ quatre cents maisons, située sur la pente septentrionale d'une colline escarpée, d'où les maisons s'étendent jusqu'au bord de la rivière, dont l'embouchure est une rade pour les gros bâtiments. Les bâtiments qui n'excèdent pas deux cents tonneaux peuvent entrer dans la rivière, mais ils sont obligés de décharger pour passer la barre.

Il y a plusieurs mosquées à Larache; la principale est d'une bonne architecture. On voit aussi un marché spacieux, entouré d'arcades, soutenues par des colonnettes de pierre. C'est le plus beau que j'aie vu dans le pays. Il fut construit par les Chrétiens, ainsi que les principales fortifications. Après avoir possédé cette ville, les Espagnols en furent dépossédés par Muley Ismaïl.

Du côté de terre, la ville est protégée par une bonne muraille avec son fossé, et la porte et le pont sont défendus par deux demi-bastions. L'alcazar ou château, qui est du côté de terre, au S. de la ville, est un petit carré de bastions à orillons, entouré de fossés, le tout assez bien conservé, à l'exception du parapet qui se trouve déjà fort dégradé. Malheureusement la ville manque d'eau; celle qu'on y boit provient d'une source située au bord de la mer, à cent quatre-vingts toises de la muraille, dans un endroit à couvert des feux de la place. On la tire aussi d'une autre source qui est à une lieue de distance. À une extrémité de la ville, à l'embouchure de la rivière, il y a un château qu'on me dit avoir été construit par Muley Yezid. Le fort carré est garni de plusieurs petites couleuvrines. Deux batteries placées au S. défendent l'embouchure du port, et une autre batterie ou château du même côté, avec des canons et un mortier, située à trois cent cinquante toises de distance. Au N. de la rivière ou du port il n'y a aucune espèce de fortification.

À trois cents toises au S. de la dernière batterie de canons et mortiers, il y a sur la langue de terre quelques ouvrages, qui vus de la mer, ont l'apparence d'un fort; mais ce ne sont que des ruines d'une maison et d'un moulin à vent.

À soixante toises à l'E. S. E. du château carré, se trouve la chapelle ou sanctuaire d'une sainte femme, patronne de la ville, nommée Léla Minána. On y révère son tombeau. Jamais je n'ai pu débrouiller la complication d'idées que m'a suggérée l'existence de la canonisation d'une femme, avec l'exclusion du paradis annoncée tacitement par la loi à son sexe. Mais Dieu sait plus que les hommes.

La côte du S. est formée par un rocher assez élevé, et celle du N. par une petite plage de sable.

Par ordre du sultan, Sidi Mohamed Salauy, qui était pacha de la ville, me destina pour logement la meilleure maison, située sur le grand marché, à côté de la principale mosquée.

Malgré ces avantages, ne pouvant monter sur la terrasse pour voir le ciel entièrement découvert, il me fut impossible de prendre des distances lunaires; mais ma longitude fut bien établie par les éclipses des satellites, qui donnèrent = 8° 21' 45" O. de l'Observatoire de Paris, comme aussi ma latitude par les passages du soleil = 35° 13' 15" N., résultat d'excellentes observations. Ma déclinaison magnétique est = 21° 39' 15" O.

La température est fort douce, et égale à celle de l'Andalousie.

La ville est environnée de sable rouge, que je regarde comme un détritus de feldspath, avec une grande disposition à s'agglutiner. Le rocher élevé du midi est formé par des couches parfaitement horizontales, fort minces et très rapprochées les unes des autres, ce qui forme un tissu schisteux, coupé perpendiculairement au bord de la mer. Ces couches de rocher ne sont formées que par le sable rouge déjà agglutiné dans le tissu schisteux mince.

Il y a quelques jardins à Larache. Les vivres y sont bons, et l'eau, quoiqu'un peu forte, n'est pas malsaine."

Source : Ali Bey, Viajes por Marruecos. Édition de Salvador Barberá. Madrid: Instituto Hispano-Árabe de Cultura, 1985, pp. 372-374


Description de Larache par Ali Bey (Viajes por Marruecos, 1803-1805)

Domingo Badía Leblich, plus connu sous son nom d'emprunt musulman Ali Bey al-Abbasi, était un espion et explorateur espagnol qui a parcouru le Maroc au début du XIXème siècle. Sous couvert d'être un prince musulman, il a pu observer la société marocaine et ses villes avec une acuité et une liberté rares pour l'époque. Sa description de Larache, qu'il visite en 1805, est un témoignage précieux sur la ville, son architecture, son environnement et la vie quotidienne de ses habitants.

Arrivée surprise et première impression:

Ali Bey arrive à Larache le 17 août 1805, après une longue route depuis Fès. Il est surpris d'apprendre qu'il est conduit à Larache et non à Tanger, comme initialement prévu. Malgré cette modification de programme, il aborde la ville avec un regard curieux et attentif.

Larache, ville portuaire fortifiée:

Ali Bey décrit Larache comme une petite ville d'environ 400 maisons, située sur le versant nord d'une colline escarpée, descendant jusqu'à l'embouchure du fleuve Loukkos. Il précise que seuls les navires de moins de 200 tonnes peuvent remonter le fleuve, les plus gros devant décharger leur cargaison pour franchir la barre.

L'auteur souligne l'importance des fortifications de Larache, héritées des Espagnols puis renforcées par le sultan Moulay Ismaïl après la reconquête de la ville en 1689. Il décrit :

Des murailles et un fossé: une solide ligne de défense protège la ville côté terre.

Une porte et un pont fortifiés: deux demi-bastions renforcent la défense de l'entrée principale.

Une Alcazaba (Casbah): un petit carré de bastions à orillons entouré de fossés, bien conservé mais dont le parapet est détérioré.

Un château à l'embouchure du fleuve: attribué à Moulay Yezid, armé de petites couleuvrines et protégé par deux batteries au sud.

Ali Bey note cependant une faiblesse majeure : le manque d'eau potable dans la ville. L'eau est acheminée depuis une source située sur le littoral, à 180 toises des murailles, et depuis une autre source plus éloignée, à une lieue de distance.

Architecture et urbanisme :

Ali Bey décrit les éléments marquants du paysage urbain de Larache :

Des mosquées: la principale est, selon lui, d'une belle architecture.

Un grand marché: entouré d'arcades soutenues par des colonnettes de pierre, il est "le plus beau qu'il ait vu dans le pays". Ali Bey précise qu'il a été construit par les Espagnols, tout comme les principales fortifications de la ville.

Observations ethnologiques et religieuses:

Ali Bey, en observateur attentif, ne se limite pas à la description physique de Larache. Il s'intéresse à la vie sociale et religieuse de ses habitants. Il mentionne la présence d'un sanctuaire dédié à Lalla Mennana, sainte patronne de la ville. Il s'interroge sur la coexistence de la canonisation d'une femme avec l'exclusion du paradis pour les femmes, selon la doctrine islamique, démontrant sa connaissance des subtilités de la religion musulmane.

Un regard scientifique:

Ali Bey, en scientifique rigoureux, profite de son séjour à Larache pour effectuer des observations géographiques et astronomiques. Il établit la latitude et la longitude de la ville, mesure la déclinaison magnétique et décrit la composition géologique du sol.

L'hospitalité du Pacha:

Ali Bey est logé dans la meilleure maison de Larache, située près de la grande mosquée, sur ordre du sultan. Il apprécie l'hospitalité qui lui est réservée et la qualité des vivres et de l'eau, bien que celle-ci soit "forte".

Apport du récit d'Ali Bey:

La description de Larache par Ali Bey est un document exceptionnel par sa richesse et sa précision. Il offre :

Un plan détaillé des fortifications de la ville, héritées des différentes occupations.

Une vision globale de l'urbanisme de Larache, avec ses mosquées, son marché et ses quartiers.

Des observations ethnologiques sur la vie quotidienne, les coutumes et les croyances religieuses.

Des données scientifiques sur la géographie et l'environnement de la ville.

En conclusion :

Le récit d'Ali Bey nous offre un portrait vivant de Larache au début du XIXème siècle. Il témoigne de la complexité de la ville, carrefour stratégique, port commercial, ville fortifiée et lieu de pèlerinage, au cœur d'un Maroc en pleine mutation.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire