LIXUS, DU BAS-EMPIRE À L'ISLAM

Introduction: Entre Histoire et Archéologie

L'histoire de Lixus, ville antique située sur la côte atlantique du Maroc, ne se limite pas à son passé romain. Au-delà de son apogée sous l'Empire, la cité a connu une période de transition complexe, marquée par le retrait progressif de l'autorité romaine et l'arrivée de l'Islam. Cette période, souvent négligée par les historiens, représente un véritable terrain d'exploration pour les archéologues et un point crucial pour comprendre l'évolution du Maroc antique vers le Moyen Âge.

Le contexte historique :

Vers 285 ap. J.-C., pour des raisons encore mal comprises, la frontière sud de la province romaine de Maurétanie Tingitane est repoussée au Loukkos. Cette décision entraîne l'abandon de nombreux centres urbains, la province romaine se rétractant face à de nouvelles pressions, probablement d'origine barbares. Seuls quelques sites, comme Sala et Mogador sur le littoral atlantique, maintiennent des relations avec Rome.

L'étude des sources, notamment la Notitia Dignitatum qui recense les unités militaires en Maurétanie Tingitane à la fin du IVe siècle, permet d'établir une cartographie de l'occupation romaine postérieure à 285. Lixus, cité par la Notitia, devient alors une garnison militaire, abritant la première cohorte herculéenne.

L'objectif de l'étude :

La présence de niveaux tardifs à Lixus, datant de la fin de l'Antiquité et du début du Moyen Âge, offre un potentiel unique pour l'étude de cette période charnière. Le présent article se propose d'analyser ces niveaux, en s'appuyant sur les résultats des fouilles anciennes et sur les informations fournies par les sources littéraires arabes. Il vise à mieux comprendre :

L'évolution de la ville après le retrait romain: Comment s'est-elle adaptée à cette nouvelle situation ? Quelles structures ont été construites ? Quel était son mode de vie ?

La transition vers l'Islam : Quelle est la place de Lixus dans l'histoire de l'arrivée de l'Islam au Maroc ? Quelle est la nature de l'occupation musulmane de la cité ?

En d'autres termes, cette étude s'intéresse à la "vie cachée" de Lixus, celle qui s'étend du IVe siècle à l'arrivée de l'Islam, et qui éclaire d'un jour nouveau l'histoire de cette ville antique.

II. Lixus, Ville Réduite: Une Cité Murée et Rétrécie

L'arrivée du IVe siècle marque un tournant dans l'histoire de Lixus. La cité, autrefois florissante et étendue, se voit contrainte de se réorganiser et de se protéger face à un contexte incertain. La construction d'une nouvelle enceinte, plus réduite que la précédente, témoigne de cette adaptation et de la volonté de se concentrer sur une zone plus restreinte.

Une Enceinte Tardive et Ses Mystères:

La muraille tardive de Lixus, large de 1,50 à 2 mètres, est principalement constituée de matériaux de remploi et de moellons grossièrement taillés. Elle est flanquée de tours rectangulaires saillantes, dont deux sont encore visibles au nord, au niveau du temple H.

L'enceinte se compose de deux éléments distincts :

Une muraille principale: Elle englobe une grande partie de l'acropole, le quartier des temples et la partie haute de la pente sud.

Deux appendices: Situés à l'est et à l'ouest, ils protègent les flancs de la pente sud et le quartier des usines de salaison, jusqu'à l'oued Loukkos.

La relation chronologique entre ces deux éléments reste à éclaircir. S'ils sont contemporains, pourquoi isoler deux quartiers de la même cité ? De même, la date précise de la construction de l'enceinte tardive est inconnue. Tarradell suggère une construction vers la fin du IIIe siècle, suite à des destructions dans le secteur des grandes maisons. Cependant, de nouvelles recherches stratigraphiques sont nécessaires pour confirmer cette datation et comprendre l'évolution du site pendant la seconde moitié du IIIe siècle.

L'impact sur la structure urbaine:

La construction de cette nouvelle limite a profondément modifié l'organisation urbaine de Lixus.

Abandon du quartier des riches maisons: Le quartier des maisons à péristyle, détruit au IIIe siècle, n'a pas été réaménagé et a été définitivement abandonné.

Exclusion de monuments publics: Le théâtre-amphithéâtre, les thermes voisins et d'autres monuments publics se retrouvent à l'extérieur de la nouvelle enceinte.

Transformation en nécropole : Une tombe du IVe siècle, aménagée au-dessus de l'arène du théâtre-amphithéâtre, suggère que la zone a été transformée en nécropole.

Une ville réduite, une vie méconnue:

Malgré l'enceinte tardive, les fouilles anciennes nous offrent peu d'informations sur la vie dans la ville réduite.

Usines de salaison en activité réduite: Les fouilles dans le quartier des usines de salaison montrent qu'elles ont continué à fonctionner au IVe et au début du Ve siècle, mais à un rythme plus lent.

Remodellage du quartier des temples: Des vestiges tardifs ont été découverts dans ce quartier, suggérant un remodelage, avec des structures superposées aux monuments antérieurs ou réutilisant des éléments préexistants. Les thermes J constituent un exemple de cette réutilisation.

Un urbanisme désordonné? Des structures "restes d'un urbanisme désordonné" ont été relevées au-dessus des monuments religieux. Leur datation et leur signification restent à définir.

L'étude de la ville réduite de Lixus pose de nombreux défis. La présence de niveaux tardifs mal explorés, la difficulté de datation précise et l'absence de sources écrites nous obligent à reconstituer un puzzle fragmentaire. Néanmoins, les vestiges existants nous invitent à reconsidérer Lixus, non pas uniquement comme une cité romaine, mais comme un lieu de vie et d'adaptation qui a traversé les époques.

III. Lixus, de Rome à l'Islam : Un Silencieux Passage de Témoin

La disparition progressive de l'autorité romaine en Maurétanie Tingitane et le silence des sources archéologiques sur la période postérieure au Ve siècle laissent planer un voile mystérieux sur les derniers siècles de Lixus avant l'arrivée de l'Islam. Cette période, marquée par l'abandon progressif de la cité par Rome et l'émergence d'une nouvelle identité, reste un terrain d'exploration fascinant.

Un Abandon Progressif?:

La date précise de l'abandon définitif de Lixus par l'administration romaine est incertaine. La présence de quelques rares témoignages archéologiques datant de la deuxième moitié du Ve et du VIe siècle suggère une occupation continue, mais sous une forme inconnue.

L'absence de matériel du Ve siècle et suivants: L'absence de matériel archéologique caractéristique de ces siècles, constatée aussi bien à Lixus que dans d'autres sites de la Maurétanie Tingitane, soulève des questions sur l'évolution du site.

La fin du Vesiècle, une période charnière: Il est possible que l'ensemble de la Tingitane, resté sous contrôle romain après 285, ait connu un événement majeur conduisant à l'évacuation de plusieurs cités au début du Ve siècle.

L'hypothèse des Vandales: Le passage des Vandales par la Tingitane en 429, évoqué par Ponsich, pourrait expliquer la disparition des témoignages de l'époque chrétienne dans la région de Tanger. Cette hypothèse pourrait s'appliquer à tous les sites de la Maurétanie Tingitane, y compris Lixus.

L'influence de l'invasion de l'Ibérie: L'invasion de la Péninsule Ibérique par les peuples germains, une vingtaine d'années avant l'arrivée des Vandales en Afrique, pourrait également avoir contribué au relâchement de l'autorité romaine dans le nord du Maroc.

Un Site Abandonné ou Vivant?

Malgré l'absence de preuves de destruction violente, Lixus semble avoir connu un déclin progressif après le retrait romain. Les quelques vestiges datés du Ve et du VIe siècle, souvent fragmentés, suggèrent une occupation continue, mais d'une ampleur et d'une nature difficile à cerner.

Lixus sous l'Islam : Une Nouvelle Histoire:

Dans la littérature arabe, Lixus réapparaît sous le nom de "Tashmmes", un nom qui semble faire référence à son toponyme préromain, Se-mes.

Une cité ancienne et peuplée: Les textes arabes insistent sur l'antiquité de la cité et la présence d'une population. Cependant, ils ne précisent pas son importance dans le contexte islamique.

Une mosquée et des vestiges du XIIe-XIVe siècle: La présence d'une petite mosquée sur l'acropole, d'une maison à patio et de céramiques datées entre le XIIe et le XIVe siècle témoigne de la présence d'une communauté musulmane à Lixus.

L'étendue de l'occupation musulmane: L'emplacement des vestiges islamiques semble correspondre à l'enceinte tardive, suggérant une occupation qui se limitait aux quartiers déjà protégés par la muraille du Bas-Empire.

Un Passage Mal Connu :

L'histoire de Lixus entre le retrait romain et l'arrivée de l'Islam reste largement inconnue. La documentation archéologique et les sources écrites nous offrent des bribes d'informations, mais ne nous permettent pas de reconstituer un tableau complet de cette période.

Une nouvelle ère pour Lixus: La présence d'une mosquée et d'une communauté musulmane témoigne d'une nouvelle phase dans l'histoire de Lixus. La cité antique, malgré son déclin, a continué à exister, s'adaptant à un nouveau contexte et à une nouvelle culture.

Un défi pour les archéologues: La recherche des niveaux tardifs de Lixus est une tâche ardue. Les vestiges sont souvent fragmentés, la datation est difficile et les sources écrites sont rares. Cependant, chaque découverte nous rapproche un peu plus de la compréhension de ce passage crucial dans l'histoire de Lixus.

L'exploration de Lixus, de Rome à l'Islam, est un voyage à travers le temps, une quête d'un passé méconnu. Les vestiges archéologiques et les récits historiques nous offrent des indices précieux, mais l'histoire de cette transition reste un mystère à élucider.

IV. Conclusion : Lixus, Un Miroir de la Transition

L'étude des niveaux tardifs de Lixus, du Bas-Empire à l'arrivée de l'Islam, nous offre un aperçu précieux de la transition entre deux époques clés dans l'histoire du Maroc. La ville antique, autrefois florissante sous l'empire romain, a connu un déclin progressif, s'adaptant à un nouveau contexte marqué par le retrait de l'autorité romaine et l'émergence d'une nouvelle identité.

L'Importance des Niveaux Tardifs :

Les vestiges archéologiques de cette période, bien que souvent fragmentés, offrent une richesse d'informations, trop longtemps négligées. La ville réduite, enfermée dans une nouvelle enceinte, témoigne de la volonté de se concentrer sur une zone restreinte et de se protéger face à un environnement incertain. L'abandon de certains quartiers, la transformation d'autres en nécropole, et la réutilisation des monuments anciens révèlent une cité en mutation, cherchant à s'adapter à une nouvelle réalité.

Des Questions Ouvertes :

L'histoire de Lixus entre le retrait romain et l'arrivée de l'Islam reste un puzzle complexe, avec de nombreuses pièces manquantes. La date exacte de l'abandon de la ville par Rome, l'impact des invasions barbares, la nature de l'occupation post-romaine et l'évolution de la vie quotidienne dans la ville réduite sont des questions qui restent en suspens.

La Nécessité de Nouvelles Recherches :

La richesse des niveaux tardifs de Lixus, qui représentent une moitié de l'histoire de la cité, impose la nécessité de nouvelles recherches archéologiques. Ces travaux doivent intégrer une analyse stratigraphique fine, une datation précise des vestiges et une étude approfondie du matériel archéologique.

Lixus, un Témoin Universel :

L'histoire de Lixus, du Bas-Empire à l'Islam, nous rappelle que les transitions historiques sont rarement brutales, mais plutôt un processus progressif, fait d'adaptations, de transformations et de continuités. La ville antique, à travers son évolution, nous offre un miroir de ces mutations, témoignant de la capacité des sociétés à s'adapter aux changements et à construire de nouveaux récits.

L'exploration de Lixus, du Bas-Empire à l'Islam, est un voyage fascinant, un dialogue entre l'histoire et l'archéologie, qui nous incite à reconsidérer le passé pour mieux comprendre le présent et construire l'avenir.