Voyage de Paul de Laget au Maroc espagnol (1935): une vision poétique et pittoresque
Paul de Laget, auteur français, entreprend un voyage au Maroc espagnol dans les années 1930 et relate ses impressions dans son ouvrage "Au Maroc espagnol". Son récit se démarque par une approche poétique et pittoresque, riche en descriptions subjectives et en anecdotes colorées. Larache, étape importante de son périple, est dépeinte avec une sensibilité particulière, mêlant observations architecturales, impressions sensorielles et réflexions sur la rencontre des cultures.
Une entrée en douceur :
Laget arrive à Larache par une avenue bordée de palmiers et d'élégants bâtiments, témoignant de l'influence architecturale espagnole. L'église Notre-Dame du Pilar, de style moderne, attire son attention avec ses coupoles bleues vernissées. L'atmosphère est paisible et accueillante.
La Plaza de España : un havre de paix et de beauté
La Plaza de España, aujourd'hui Place de la Libération, est le cœur vibrant de la ville nouvelle. Laget la décrit comme un lieu paisible et enchanteur :
Un écrin de roses : Des rosiers en fleurs bordent la place, créant un spectacle visuel et olfactif envoûtant.
La fontaine centrale : Élément architectural typique des places espagnoles, elle symbolise la présence coloniale.
L'harmonie des couleurs : Laget décrit avec poésie les couleurs chatoyantes des djellabas des hommes assis sur un banc, qui s'harmonisent avec le rouge des roses et la lumière dorée du crépuscule.
La Plaza de España représente pour Laget un lieu de rencontre harmonieuse entre les cultures espagnole et marocaine, un espace où la beauté et la sérénité règnent en maîtres.
Le petit souk : effervescence et couleurs
Laget se rend ensuite au petit souk, situé à l'intérieur de la médina. Il décrit l'animation intense qui y règne lors de la fête de l'Achoura, comparable à l'effervescence du Forum romain :
Un mélange de cultures : Laget observe la diversité des populations qui fréquentent le souk, des paysans du Loukkos aux marchands juifs en passant par les conteurs et les musiciens.
Un spectacle visuel et sonore : Il décrit les couleurs vives des étals, les odeurs des épices et des aliments, les sons des conversations animées et de la musique traditionnelle.
Un lieu de traditions : Laget s'intéresse aux femmes venues du Loukkos, remarquant leur port altier, leurs visages découverts et leurs tatouages.
Le petit souk est pour Laget un lieu authentique et fascinant, où se mêlent les traditions, les cultures et les modes de vie.
Le Loukkos : un fleuve chargé d'histoire
Laget décrit ensuite le fleuve Loukkos et son estuaire. Il observe les "portefaix" qui transportent des marchandises sur la rue "Huit Juin", reliant le port au centre-ville. Il note la présence de ruelles escarpées et d'escaliers, qui confèrent à la ville une topographie unique.
Le cimetière arabe : méditation et contemplation
Laget se rend au cimetière arabe, situé à l'écart de la ville. Le lieu, paisible et empreint de spiritualité, lui inspire des réflexions sur la vie et la mort. Il admire la vue panoramique sur la ville blanche, le golfe immense et l'océan Atlantique.
Apport du récit de Laget :
Le voyage de Paul de Laget offre une vision subjective et poétique de Larache. Son récit met en avant :
La beauté architecturale de la ville, influencée par la présence espagnole.
L'atmosphère paisible de la Plaza de España, lieu de rencontre des cultures.
L'animation et la diversité du petit souk, témoin des traditions marocaines.
La dimension spirituelle et contemplative du cimetière arabe.
Limites :
L'approche de Laget, centrée sur ses impressions et ses émotions, manque parfois de précision historique et géographique.
Conclusion :
Le récit de Paul de Laget, malgré ses limites, enrichit notre vision de Larache en nous invitant à la découvrir à travers le prisme de la poésie et de l'émotion. Son regard sensible et son style coloré nous plongent dans l'ambiance unique de la ville et nous font ressentir la fascination qu'elle exerce sur les voyageurs.
Extraits de Au Maroc espagnol de Paul de Laget qui concernent Larache :
"(...) On accède à Larache par une avenue bordée de palmiers et d'élégants édifices. A gauche, une église moderne, Notre-Dame du Pilar, élève ses coupoles bleues vernissées.
Au bout se trouve la Plaza de España, toute fleurie de roses. (...) Elles entourent le bassin classique de toutes les places d'Espagne. Des enfants jouent près du jet d'eau. Sur un banc, tout près, sont assis, côte à côte, trois arabes. Les tons de leurs djellabas, vert réséda, rouge framboise et jaune abricot, s'harmonisent non seulement entre eux, mais aussi avec la couleur des roses et l'or liquide du crépuscule.
Le souk petit. La Plaza de España communique par la haute porte de Bab el-Jemis avec la ville arabe.
Ce matin, fête de l'Achoura, qui correspond à notre premier de l'an, le petit souk présente, sous le soleil, une animation extraordinaire. Ainsi devait palpiter le Forum, dans la Rome antique, où toutes les races barbares se coudoyaient, mêlées aux romains, avec leurs toges de laine blanche. Des colonnes de pierre entourent la place. Elles supportent les voûtes d'une galerie sur laquelle donnent les boutiques. Au centre, à même le sol ou sur de pauvres tapis usagés, sont assis les vendeurs de dattes, d'olives noires, de poissons frits, de sucre roux, de tourons et de gâteaux au miel, sur lesquels les abeilles posent leurs pattes inquiètes.
C'est le lieu des conteurs aux gestes subtils, des musiciens, des chanteurs entourés d'arabes oisifs. Les marchands de soieries groupent autour d'eux les femmes.
La plupart venues de la vallée du Loukkos, elles ont une allure noble, un port altier, le visage découvert et curieusement tatoué. Elles aiment beaucoup, dit-on, les parures, le luxe des beaux tissus (...)
Sous le midi éclatant, la place est maintenant une cuve de marbre que le soleil emplit, allumant des mèches de lumière dans le cuivre des balances, dans l'or des bracelets, dans les garnitures d'argent des poignards, dans l'agate sombre des beaux yeux.
L'estuaire du Loukkos. Au bout du Souk s'ouvre, si vivante et si joyeuse, la rue "Huit Juin" qui conduit au port. Les portefaix, au cœur solide, la gravissent en courant avec d'énormes ballots sur le dos. A droite et à gauche, commencent ou finissent des ruelles si escarpées que, parfois, des escaliers remplacent le pavé. Cela forme un ensemble, un système vertébré, dont cette rue serait la colonne centrale.
En continuant à descendre, on arrive à une petite place ensoleillée d'où l'on aperçoit soudain la mer et l'embouchure du Loukkos (...)
Pour revenir à la Plaza de España, j'ai suivi une rue qui longe le Loukkos, et qui aboutit à l'ancien fort aux "Petites coupoles".
(...)
Au coucher du soleil, je suis allé au cimetière arabe qui cache ses tombes sous de hautes herbes, près de la route de Nadar.
D'un coup d'oeil, on embrasse la ville, le golfe immense, ouvert - semble-t-il - au monde entier avec ses deux bras étendus, et l'Océan qui, inlassablement, pousse vers la rive ses vagues à crinière d'écume..."
Source : Paul de Laget. Au Maroc espagnol. Marseille: Le Manoir, 1935, pp. 175-179 & 188
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